Une épopée de fantasy celtique : prêtresse, guerrier et korrigan recherchent la Harpe des Brumes.
Le vent roulait sur les collines surplombant la région de Filandre, emportant avec lui les chants des pierres dressées. Chaque nuit, à l’heure où la lune s’ouvrait comme une fleur d’argent, des lueurs s’allumaient au cœur du cromlech, rappelant aux vivants que les anciens dieux n’étaient pas tout à fait morts.
Eilyn s’avançait pieds nus sur l’herbe humide, sa longue cape couverte de runes cousues à la main dissimulant sa silhouette féline. Ses cheveux d'or dansaient dans le vent, voilant partiellement son regard d'un bleu azur. Elle avait entendu l’appel dans ses rêves : une harpe aux cordes de brume, qui résonnait dans le silence comme un cœur endormi. On disait qu’elle avait été forgée par les dieux eux-mêmes, avant qu'ils ne se déchirent pour la possession de la terre et du ciel.À ses côtés marchait Kaelthor, un jeune guerrier aux yeux clairs et à la chevelure ténébreuse, dont la lourde épée semblait presque trop grande pour son dos voûté de fatigue malgré une musculature sculpté par l'aventure. Il ne croyait pas aux contes, mais il croyait en Eilyn, et cela suffisait.
« Les pierres s’illuminent plus fort ce soir, » dit-il, la main serrée sur la garde. « Tu es certaine de ce que tu cherches ? »
Une petite silhouette bondit hors de l’ombre d’un rocher, provoquant un sursaut chez Kaelthor. C’était un korrigan trapu, aux cheveux en broussaille rousse, vêtu d’une tunique de cuir râpé et chaussé de bottes trop larges. Ses yeux jaunes pétillaient de malice.
« Plus tôt ? Et gâcher l’effet de surprise ? » répondit le korrigan en ricanant. Il escalada la botte de Kaelthor pour grimper sur son épaule, puis désigna d’un geste théâtral les pierres dressées. « Regardez-moi ça ! Ça sent la vieille magie, la poussière d’ancêtres et les ennuis gros comme une colline. Exactement mon genre d’endroit ! »
Eilyn et Gwennoc s'unir pour réveiller les runes d'un gigantesque menhir. Un grondement monta des entrailles de la colline. Les runes s’ouvrirent, dévoilant un escalier de pierre qui descendait dans les ténèbres. L’air y sentait la mousse et l’océan, comme si les abysses du monde avaient retenu leur souffle depuis des siècles en ce lieu mystérieux.
Et tous trois descendirent ensemble.
L’escalier de pierre s’enfonçait dans les entrailles de la colline, avalant la lumière des étoiles derrière eux. Les bottes de Kaelthor résonnaient lourdement, tandis qu’Eilyn glissait sa main contre la paroi couverte de mousses luisantes. À chaque marche, la mélodie de la Harpe se faisait plus claire, comme un fil invisible qui les guidait.
Kaelthor leva les yeux au ciel, mais un sourire discret adoucit son visage.
Bientôt, l’escalier déboucha sur une vaste salle circulaire. Les parois semblaient tissées de racines pétrifiées et de cristaux lumineux, et au centre flottait l’instrument légendaire : la Harpe des Brumes. Ses cordes vibraient d’elles-mêmes, tissant dans l’air des images fugaces — une mer de flammes, des cités englouties, un trône d’argent déserté.
Eilyn s’avança, les yeux écarquillés. La mélodie pénétrait son cœur, éveillant une douleur ancienne, comme si les dieux parlaient à travers son propre sang.
Mais l’instant fut brisé par un grondement sourd. De l’ombre, une silhouette surgit : haute, massive, vêtue d’une armure noire veinée de lueurs vertes, comme forgée par la sève maudite de la terre. Ses yeux flamboyaient d’un éclat surnaturel.
« L’instrument ne vous appartient pas, » gronda la voix, grave comme une cloche fendue. « La Harpe appartient aux Rois-Souterrains. Et elle demeurera ici jusqu’au Dernier Chant. »
Un éclair de magie jaillit de son doigt, ricochant sur l’armure du colosse. La déflagration illumina la salle, révélant des runes anciennes gravées sur le plastron noir. Le gardien ne chancela pas, mais ses yeux se plissèrent de colère.
Eilyn, elle, resta immobile, ses mains crispées sur son bâton gravé de symboles. Elle comprenait, à travers la musique de la Harpe, que ce n’était pas un simple ennemi, mais un souvenir vivant, une âme enchaînée.
« Attendez… » souffla-t-elle. « Ce n’est pas une créature… c’est une mémoire. Un serment. »
Kaelthor serra les dents. « Mémoire ou pas, il est bien décidé à nous réduire en poussière. »
Le gardien leva sa main, et les racines pétrifiées s’animèrent, claquant dans l’air comme des fouets vivants. Les cristaux se mirent à vibrer, emplissant la salle d’une résonance assourdissante.
La prêtresse posa la paume contre le sol. Ses lèvres murmurèrent un chant ancien. Les runes de sa cape s’illuminèrent, et un cercle de lumière se déploya autour d’eux, freinant l’assaut des racines.
Le guerrier lança un regard noir au korrigan, mais celui-ci claqua des doigts : un essaim de petites flammes vertes jaillit dans la salle, virevoltant autour du gardien et marquant ses mouvements d’éclats lumineux.
Eilyn, au cœur de ce tumulte, fixa la Harpe. Les cordes semblaient vibrer de plus en plus fort, comme si elles attendaient son geste. Et elle comprit que la clé de leur survie n’était pas dans l’épée ni dans la magie… mais dans la musique oubliée qui résonnait dans son sang.
Les racines frappaient comme des serpents de pierre, ébranlant le cercle lumineux d’Eilyn. Kaelthor parait de son épée, chaque coup résonnant comme un tonnerre dans la salle souterraine. La force du gardien était surhumaine, mais le guerrier tenait bon, les yeux brûlants d’une détermination farouche.
« Tu ne passeras pas ! » rugit-il, repoussant une vrille gigantesque.
Mais derrière ses fanfaronnades, le korrigan savait qu’ils ne tiendraient pas longtemps. Le gardien était trop puissant, et les racines trop nombreuses.
Eilyn ferma les yeux. Elle laissa la musique de la Harpe pénétrer jusqu’au plus profond de son âme. Les visions se firent plus nettes : elle vit des armées antiques, des rois couronnés de flammes, des cités consumées par leur propre orgueil. Et toujours, la Harpe, pleurant au milieu des ruines.
Les dieux n’avaient pas laissé une arme. Ils avaient laissé une mémoire. Une promesse.
« Kaelthor ! Gwennoc ! Tenez encore un instant ! » cria-t-elle.
Elle s’élança vers la Harpe, ses doigts effleurant les cordes de brume. Un accord éclata, si pur qu’il fit trembler l’air lui-même. La salle entière se couvrit d’une lumière argentée, et le gardien s’arrêta net. Les racines retombèrent au sol comme des serpents morts.
Le colosse chancela, ses yeux flamboyants vacillants. Alors Eïlyn joua. Pas une chanson de guerre, mais une mélodie douce, infiniment triste, qui parlait de la mer, du vent, des étoiles perdues. La Harpe chanta la vérité : le gardien n’était pas un monstre, mais un roi ancien, enchaîné à jamais à ce lieu pour protéger un souvenir que plus personne ne venait honorer.
L’éclat de ses yeux s’éteignit. L’armure se brisa en poussière, emportée par le souffle de la Harpe.
Le silence retomba, solennel, presque sacré.
« Non, » répondit-elle, la voix chargée d’émotion. « C’est la Harpe qui l’a fait. Elle ne voulait pas d’un maître. Elle voulait qu’on écoute. »
Eilyn éclata d’un rire léger, brisant enfin la tension. Même Kaelthor esquissa un sourire, rare et sincère.
Ils quittèrent la salle sacrée au lever de l’aube. La Harpe restait là, suspendue dans la lumière, chantant doucement pour ceux qui auraient le courage de descendre un jour l’écouter.


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